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21/12/2007

L'Amérique contre la réforme ? (entretien n°4/8 avec Norman Ornstein à l'American Enterprise)

Je poursuis ici le compte rendu de mes entretiens à Washington DC sur le thème : "Communiquer la réforme".

Une star de l'American Enterprise Institute

Norman Ornstein est un des commentateurs les plus réputés de la vie politique américaine. Il est notamment membre de l’American Enterprise Institute for Public Policy Research (AEI), un des principaux think tanks conservateurs. L’AEI promeut, sans surprise, des valeurs de référence telles qu’un gouvernement restreint, l’entreprise privée, la liberté individuelle, la responsabilité politique, etc. Avec environ 175 personnes sur Washington DC, il est structuré en trois pôles principaux : politiques économiques, questions politiques et sociales, affaires étrangères et défense. Il sert à l’occasion de vivier ou d’accueil pour le camp républicain.

Spécialiste des questions politiques intérieures et notamment du Congrès et des élections, Norman Ornstein est aussi analyste politique pour CBS et contribue régulièrement au Roll Call. Il collabore plus occasionnellement avec d’autres journaux et revues tels que le New York Times, le Washington Post, WSJ ou encore Foreign Affairs. Ornstein a également été l’un des artisans de la réforme MacCain/Feingold du financement des campagnes électorales. Il est membre de l’Académie américaine des arts et des sciences depuis 2004.

Changement ou statu quo ?

Selon Norman Ornstein et contrairement à une idée reçue, le système institutionnel américain ne favorise pas la réforme. Il viserait même à l’empêcher par un certain nombre de contraintes techniques, voire de pratiques détournées telle celle, célèbre, du « filibuster » par lequel un sénateur peut monopoliser la parole pendant le temps qu’il veut sans pouvoir être interrompu pour faire échec à un projet de loi (le record est toujours détenu par Wayne Morse qui s’efforça, dans les années 50, de faire échec à une loi pétrolière par un discours de plus de 20 heures dans lequel il se borna à lire l’annuaire téléphonique...). Cet usage, lorsqu’il est mis en œuvre, ce qui a été le cas dans la période récente, ne peut être interrompu que par la constitution d’une majorité renforcée de 60 sénateurs déclarant la cloture des débats.

Le cas des armes

Un exemple souligne la difficulté à réformer dans ce système. 80 % des citoyens américains se déclarent, à un titre ou à un autre, favorables à un contrôle des armes. Mais cette tendance de l’opinion (alimentée par d’innombrables exemples de tueries dans les lieux publics, qui se succèdent semaines après semaines) ne parvient pas à déboucher sur une réforme parce qu’elle est opposée à 20 % de gens remarquablement bien organisés et efficaces pour préserver la situation actuelle, autour notamment de l’American Rifle Association (NRA).

Des périodes d’exception

En réalité, les périodes de fortes réformes sont concentrées, aux Etats-Unis, sur des moments historiques très brefs : les années 30 bien sûr avec l'administration Roosevelt, la nouvelle société de Johnson en 1965-66 et le tout début de l’ère Reagan. Ces périodes sont généralement marquées, soit par une crise majeure ressentie comme telle par l’opinion, soit encore par la très large victoire d’un camp politique sur un autre. Une des rares exceptions à ce schéma est la réforme fiscale adoptée en 1986 à un moment où Reagan n’était pas en position de force, mais où les Démocrates étaient également d’accord pour répondre à une forte demande de réduction et de simplification des impôts dans la société américaine.

Bush's honeymoon

Les deux principales réformes mises en œuvre par Bush ont été l’éducation et la fiscalité. Le succès de la réforme de la fiscalité s’est appuyé sur le fait que, pour la première fois depuis les années 1953-54, le Gouvernement était unifié avec une Présidence, un Sénat et une Chambre des Représentants républicains (Reagan, lui, n’avait pas la Chambre des Représentants). Cette réforme a été facilitée par un classique état de grâce (« Bush’s political honeymoon ») et une configuration qui était alors de type parlementaire. Pour « No Child Left Behind », la stratégie a consisté à tout de suite aller chercher des alliés démocrates de renom car ce domaine apparaissait moins facile à réformer que ne l’avait été la politique fiscale.

L’échec des retraites

S’il n’y a pas de crise à proprement parler, il faut créer un sentiment d’urgence et fixer le cadre du débat (c’est là, semble-t-il, une idée fixe du camp conservateur). Mais pourquoi la tentative de réforme des retraites n’a-t-elle pas abouti en 2005 ? Le pays était en effet déjà parvenu par le passé à réformer son système de « social security » (pm. l’expression ne désigne que le système de retraites aux Etats-Unis), en 1983. Mais cela n’avait été rendu possible, à l’époque, que par la conjonction d’une crise de financement du système et d'un large consensus. Une commission spéciale, présidée par Alan Greenspan, avait alors en effet réuni un large spectre d’acteurs, y compris les syndicats. Or, si une commission a bien été mise en place en 2005, cela a été fait, cette fois, selon une approche beaucoup plus étroite et partisane.

Demain, le système de santé ?

La règle peut finalement apparaître assez simple : il est inutile de chercher à vendre une réforme auquel les gens ne croient pas. Il faut aussi gagner le support des élites. Si la réforme du système de santé a une chance de se faire à l’avenir, ce ne sera qu’à la condition qu’elle soit érigée en priorité essentielle du nouveau président. Elle pourra d’ailleurs s’appuyer sur un sentiment de crise ou d’insécurité qui s’est largement développé ces dernières années sur ce sujet au sein de la société américaine.

19/12/2007

Extension du domaine du discours (entretien n°3/8 avec Carolyn Bartholomew, au Tabard Inn)

Margaret Mead à la Chambre ?

Membre du barreau de Californie et diplômée d’anthropologie, Carolyn Bartholomew a notamment été directeur juridique, puis chef de cabinet de Nancy Pelosi. Représentante du 8ème district de Californie (San Francisco), Nancy Pelosi a été la chef de file du parti démocrate à partir de 2002 et est présidente de la Chambre des Représentants depuis début 2007.

Spécialiste des questions internationales, Carolyn Bartholomew a par ailleurs présidé la commission USA-Chine pour les affaires économiques et de sécurité. Elle se consacre à diverses activités socio-économiques : elle est ainsi membre du conseil d’administration de Kaiser Aluminium Corporation et participe à une association en faveur de l’éducation des enfants dans les pays en voie de développement.

L'art du compromis

Le processus de réforme normal dans le système américain consiste, à partir d’une idée de départ, à établir la carte de ses alliés et de ses opposants. Il est marqué par une intense activité d’élaboration-négociation qui peut parfois prendre très longtemps (cf infra l’action de sensibilisation menée par Patricia Schroeder en matière sociale sur une dizaine d’années). Ce processus souligne également l’importance des connexions interpersonnelles dans une stratégie d’alliance qui procède par élargissements successifs.

Le système institutionnel s’appuie sur des équipes politiques très étoffées si on les compare aux moyens dont disposent les parlementaires français (souvent guère plus de deux ou trois attachés). A la Chambre des Représentants par exemple, chaque élu dispose de 18 personnes à plein temps, plus 4 personnes à mi-temps. La présidente de la Chambre s’appuie quant à elle sur une équipe de 50 personnes.

Strange bedfellows...

La recherche d’alliances peut parfois déboucher sur la formation de coalitions hétéroclites. C’est ainsi qu’une mobilisation relative aux droits de l’Homme en Chine a permis d’associer, outre les supporters traditionnels de ce type de combats (Démocrates, syndicalistes…) des groupes chrétiens plutôt conservateurs. Ces étranges liaisons (« strange bedfellows ») présentent également l’intérêt de susciter l’intérêt de la presse et de favoriser la médiatisation du sujet.

Le système américain témoigne d’une certaine capacité à passer des compromis. Ce fut le cas pour la loi « No Child Left Behind » qui, au-delà de l’appui de personnalités démocrates, a également été négociée avec le syndicat des enseignants.

En sens inverse, les positions intransigeantes mènent clairement à l’échec. Ainsi le projet, lancé par les Démocrates, d’améliorer la protection des droits de la communauté gay et lesbienne s’est-il heurté à la volonté de cette communauté de faire également bénéficier les trans-genres de ces droits renforcés.

Une capitale, des capitaux

L’argent reste une donnée centrale dans le système institutionnel américain. Il rend notamment compte de la puissance de quelques grands lobbies (groupes pharmaceutiques, compagnies d’assurance, médecins) dans le cas de la tentative de réforme du système de santé (*).

Un exemple de cette agitation politique sans traduction en actions a été donné tout récemment par l’adoption par la Chambre des Représentants d’un texte sur l’énergie présenté comme un cadre qui « tranformera le futur ». Chacun sait pourtant que le texte sera bloqué au Sénat. De surcroît, le Président a par ailleurs indiqué qu’il lui opposerait son veto.

Cela se traduit notamment par des dons lors des campagnes électorales : la rémunération d’un membre du Congrès est, à titre indicatif, de l’ordre de 150 000 dollars par an quand il faut dépenser des millions de dollars pour chaque campagne ; et les enjeux se chiffrent naturellement en milliards pour l’élection présidentielle.

Dans le cas du système de santé, cela se manifeste également par la puissance de communication considérable de cette industrie aux Etats-Unis. Aux heures de grande écoute sur les grandes chaînes d’information (par exemple sur CBS vers 18h30) les spots publicitaires sont l’apanage quasi exclusif des groupes pharmaceutiques.

La puissance financière est également avérée dans des cas d’une tout autre nature. Ainsi la Turquie a-t-elle récemment mobilisé des millions de dollars pour empêcher l’adoption d’un texte reconnaissant le génocide arménien. Cette stratégie est passée par la publication par des personnalités de renom, tel Henry Kissinger, d’éditoriaux dans les grands medias de référence (New York Times, Washington Post, etc).

Inflation du discours

Une situation comme celle qui prévaut actuellement (présidence républicaine, majorité démocrate au Congrès) rend extrêmement difficile l’adoption de réformes. L’adoption d’un texte requiert en effet 60 voix au Sénat alors que les Démocrates en détiennent 51 aujourd’hui ; en sens inverse, le Président peut opposer son veto aux projets lancés par les Démocrates.

Dans ce contexte, beaucoup de tentatives de projets de loi ou de réformes sont affichées pour occuper le terrain et préparer les prochaines élections, mais ne débouchent quasiment jamais sur des réformes effectives. Les seules exceptions notables sont constituées de sujets neutres touchant à la vie quotidienne de tous les Américains concernant par exemple les infrastructures.

Cette situation se traduit par la publication de très nombreux communiqués de la part de la présidence de la Chambre des Représentants. Mais c’est bien d’une bataille de communication et de postures dont il s’agit, plus que d’affrontements liés à des tentatives réelles de réforme. Dans ce contexte, il est même régulièrement d’usage que la Chambre communique par avance sur des déclarations et/ou des déplacements du Président Bush de façon à préempter le débat en donnant le ton et en définissant le cadre dans les medias.

- Ou quand, au lieu de servir la réforme, la communication sert à en masquer l'absence.

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(*) Un contre-exemple peu connu et intéressant de cet échec à réformer le système de financement de la santé est donné par le Family and Medical Leave Act de 1993 qui, à l’initiative de Patricia Schroeder (National Partnership for Women and Families), première femme élue au Congrès dans le Colorado et qui sera un moment candidate à l’élection présidentielle de 1988, a donné la possibilité aux salariés, à l’issue d’un long travail de sensibilisation, de prendre des congés non rémunérés pour s’occuper de leurs proches pour raisons médicales

18/12/2007

Words That Works : démonstration (entretien n°2/8 avec Larry Moscow et Nick Wright, chez Luntz & Maslansky)

Bienvenue chez les Spin Doctors

Larry Moscow est Senior Vice President de Luntz & Maslansky. Ce cabinet hautement spécialisé dans l’analyse de discours et les recommandations lexicales est dirigé par Frank Luntz, conseiller en communication et l’un des gourous du camp républicain (le cabinet conseille également le Labour en Grande-Bretagne).

Luntz est notamment l’auteur de « Words that Works », un best-seller dans le domaine de la communication politique aux Etats-Unis. Larry Moscow était assisté pour cet entretien de Nick Wright, Strategic Project Director, également en charge des relations internationales et notamment de la partie conseil en Grande-Bretagne.

Sondages en direct

Luntz est un spécialiste de l’animation de focus groups inhabituellement larges (jusqu’à 30 personnes). Il analyse de façon instantanée les réactions des participants à différents discours politiques (équipés d’une télécommande, les gens sanctionnent ou valorisent instantanément ce qu’ils entendent). Il permet ainsi de mieux calibrer les discours mais aussi, à partir d’études lexicales approfondies, de les élaborer en propre en maximisant leur efficacité.

Dans un monde de la communication généralement coupé entre spécialistes de l’opinion publique et experts des relations publiques, Luntz occupe une place à part qui se situe au carrefour de ces deux spécialités. S’agissant de l’analyse de l’opinion publique, le cabinet ne se borne pas à faire ressortir des tendances, mais identifie aussi des mots précis à fort impact dans l’opinion. Le cabinet pratique également les analyses de discours à travers internet, en particulier pour mieux cerner le language et les références des opposants à telle ou telle réforme.

What's the story ?

Pour Larry Moscow, aucune communication ne peut sauver une mauvaise politique, mais une mauvaise communication peut tuer une bonne politique. Du point de vue de l’opposant, on pourrait ajouter qu’une communication efficace peut aussi largement contribuer à tuer une bonne politique.

Le cabinet a par exemple conseillé l’AARP dans son opposition au projet de réforme des retraites lancé par George Bush, un exemple qui semble attester d’une efficacité certaine.

En fait, dans ces configurations de combat, il ne s’agit pas seulement pour Luntz de recommander les mots et les messages qui font mouche, mais aussi de valoriser les mots qui induisent un passage à l’action (« call to action ») en passant d’une attitude de complainte passive à un comportement engagé (pm. sur le plan théorique cela est à rapprocher des théories tant de la psychologie de l’engagement aux Etats-Unis que de la socio-dynamique en France, très proches dans leur souci de convertir du language en énergie concrète et en action).

Un seul souci de ce point de vue : « What’s the story ? ». Autrement dit, quelle est l’histoire à raconter, le récit à dérouler et quel champ lexical lui associer. Une approche recherchant l’adéquation avec le mode de fonctionnement des medias qui restent classiquement intéressés par trois ressorts majeurs : « conflicts, processes and polls » (J. Surrell).

La campagne Bush/Kerry

Sur le papier, c’est Kerry qui, par ses études, son action pendant la guerre puis au retour, par son dévouement au pays depuis de longues années, devait l’emporter de loin. La jeunesse passablement dissolue de Bush Jr en faisait, par opposition, un piètre président potentiel.

La mise en œuvre du scénario contraire a reposé en grande partie sur la capacité du camp républicain à définir Kerry très en amont dans l’opinion comme un type indécis (« flip-flopper »), ne sachant pas très bien où il allait et apparaissant en conséquence peu en mesure de conduire le pays de façon fiable.

Par extension, un des facteurs clés de réussite d’une réforme publique consiste, pour Larry Moscow à installer, non seulement le lexique, mais aussi le cadre du débat. L’accent mis dans le camp conservateur dès la fin des années 90 sur les valeurs participe de cette stratégie consistant à préempter le terrain du débat. Bush s’est par la suite largement appuyé sur ce capital. « At the end, principle trumped polish » résume une étude du cabinet sur l’élection de 2004.

Comment flinguer une réforme ?

Le cas des retraites, pour lequel Luntz a procédé à plusieurs focus groups, est un bon exemple de l’efficacité des méthodes lexicales mises en œuvre. Celles-ci ont en effet permis d’identifier les thèmes et expressions à forte portée émotionnelle sur ce sujet de société par excellence (le sujet étant clos et pour répondre à mon intérêt pour cet exemple, Moscow me remet même le dossier des focus groups sur le sujet).

La contre-attaque qui a suivi a pu ainsi s’appuyer sur un positionnement original qui pouvait se résumer à cette proposition : le but n’est pas de donner plus aux retraités, mais de protéger l’avenir de nos enfants. Ce positionnement a donné lieu à des dizaines de spots télévisés soutenus, comme on sait, par une campagne téléphonique intensive auprès des élus.

La tentative de réforme du système de santé proposée par Hilary Clinton il y a quelques années a été largement mise en échec par l’assimilation d’un système « universel » à une médecine « socialisée », un concept totalement repoussoir aux Etats-Unis (cf « Sicko »). L’évolution possible vers une réforme du système passera sans aucun doute, pour Larry Moscow, par l’invention d’un autre vocable de référence pour désigner une future réforme de ce système.

L’immigration est un sujet très sensible qu’a ravivé, il y a peu, le projet de l’administration Bush d’une légalisation des immigrés illégaux. Les études conduites par Luntz font apparaître que toutes les argumentations développées sur le thème de la sécurité nationale ont peu d’effets sur ce sujet pour toucher les gens. En revanche, les argumentaires qui font référence, sur ce sujet, à des thèmes comme ceux de la santé, de l’éducation ou des impôts, ont beaucoup plus d’impact dans l’opinion parce qu’elles font écho à des préoccupations concrètes.

Des formules qui tuent

Par l’impact concentré que lui confère sa concision et qui la rend à la fois synthétique et facile à retenir, la formule va souvent plus loin que le message. Luntz est ainsi connu pour avoir inventé ou relayé quelques exemples célèbres dans le domaine socio-politique.

Ainsi de l’impopulaire « estate tax », perçue comme une taxe légitime portant sur les biens des plus riches, en « death tax » concernant potentiellement tout le monde et à la connotation négative. De même, dans un domaine concernant davantage le secteur privé mais qui n’est pas sans conséquence politique en ces temps de réchauffement climatique, les activités de forage pétrolier, perçues par le public comme très polluantes, sont devenues une activité d’exploration en eaux profondes (« deep water exploration »). Le remplacement, déjà identifié, dans le domaine des retraites de « privatizing » par « personalizing » lui devrait aussi beaucoup.

De telles formules, faciles à reprendre dans les titres de la presse ou les interviews à la télévision, sont très utiles pour fixer l’opinion dans le sens souhaité comme l'ont montré les mémorables : « socialized medicine », ou « flip-flopper » qui, chacune, dans leur domaine, ont fait l’objet d’un matraquage médiatique impressionnant.

Bref, en sortant de chez Luntz, à Alexandria, de l'autre côté du Potomac, dans l'état de Virginie, on se dit deux choses : 1) ces types, comme on dit sur CBS, sont des experts ; 2) la communication est un métier dangereux...

17/12/2007

Liberté, mobilité, représentation : sur le marché du travail

Tandis que je participais l'autre soir, à l'Institut Montaigne, à une réunion sur la communication de la réforme publique, la commission Attali planchait de son côté sur le marché du travail.

Il y a d'ailleurs, soit dit en, passant, bien des proximités entre le travail de l'Institut créé par Claude Bébéar en 2000 - lui-même est d'ailleurs un membre actif de la commission, on l'a bien vu sur la question de l'environnement notamment - et la mission fixée à la commission Attali l'été dernier. Dans les deux cas, c'est à réformer que l'on travaille et c'est la diversité des talents et des expériences qui est à l'oeuvre.

Autre signe de proximité récent et qui s'inscrit bien dans la diversité culturelle de cet écosystème réformateur actuel : Franco Bassanini, ancien ministre italien de la fonction publique, et autre membre éminent de la commission de libération de la croissance, vient également d'être auditionné par l'Institut sur la réforme de l'administration, d'ailleurs remarquable, qu'il a conduite en Italie - oui, en Italie, et avec le soutien des principaux syndicats du pays.

Rien que de très positif dans ces interactions qui contribuent non seulement à éclairer les problématiques françaises des meilleures expériences étrangères, mais aussi à produire un consensus transpartisan, qui représente souvent la clé d'une réforme réussie.

Je ne veux pas revenir ici sur les principales propositions faites par le think tank de la rue Mermoz sur le marché du travail dans son Vademecum 2007-2012, "Moderniser la France", dont j'ai déjà parlé par ailleurs, mais seulement évoquer quelques idées complémentaires qui me tiennent à coeur et que j'ai communiquées à la commission.

D'abord, il me semble évident qu'il nous faut faciliter la rupture pour favoriser l'embauche. Il est en effet d'autant plus difficile d'embaucher que l'on sait que la rupture éventuelle sera difficile. Il ne s'agit pas ici de rendre possible n'importe quoi et encore moins sans concertation - la protestation contre le CPE l'a clairement montré.

Il ne s'agit pas non plus de basculer du jour au lendemain dans une logique américaine (voilà bien un point en effet sur lequel les deux systèmes socio-économiques diffèrent réellement) -, mais enfin, si l'on n'ouvre pas le dispositif, on ne voit pas comment l'on pourrait redonner du mouvement et de la dynamique à la mécanique économique.

La notion de sécurisation des parcours professionnel, qui avait été mise en avant par DSK au cours de la campagne présidentielle, trouve ici son intérêt et l'intérêt du salarié qui, les études le démontrent, est en France, comparativement aux autres grands pays industrialisés, aussi protégé qu'anxieux.

Combien de salariés chez nous, aussi bien d'ailleurs dans le public que dans le privé, se sentant à la fois protégés et... inutiles (ou mal compris, peu épanouis, etc) ? La liberté ici, cela doit être aussi la possibilité plus accessible pour chacun, sans prendre de risques démesurés mais sans s'enfermer à l'inverse dans des impasses mortifères, de renouveler le sens, la contribution et l'enthousiasme, oui, de sa vie professionnelle.

L'information sur les métiers doit aussi être ouverte. L'accès à cette information est, on le sait, un élément d'inégalité important dans la vie des futurs salariés. Associé à un manque de perspectives objectif dans tel ou tel bassin d'emploi local, elle conduit au pessimisme, au renoncement, voire à la colère et à la violence. Couplée au contraire avec une propension un peu plus élevée à la mobilité géographique, elle peut ouvrir des pistes là où l'on croyait son destin scellé.

Troisième idée : l'ouverture de la fonction publique à d'autres parcours et à d'autres expériences ferait un bien considérable à notre système bureaucratique pour le rendre, précisément, moins bureaucratique et plus en prise avec les dynamiques de la société. Le Président de la République a déjà évoqué ces pistes ; la commission y reviendra. Au-delà, c'est aussi la question du statut qui est naturellement posée.

Je me souviens d'exposés aussi techniquement habiles que politiquement nuls à Sciences-Po expliquant qu'il n'était pas nécessaire de modifier le statut de la fonction publique pour faire évoluer l'administration... Eh bien, nous n'en sommes plus là. Il y a un contrat à refonder entre le pays et son administration... dans lequel le pays, lui aussi, doit s'habituer peu à peu à attendre moins de l'administration.

Quatrième idée : aider les futurs salariés à apprendre à gérer les ruptures. Si la vie contemporaine se caractérise par une forte instabilité, alors il faut en tirer les conséquences et intégrer, dès la fin de l'enseignement secondaire, un enseignement de psychologie puis, par la suite, prévoir la possibilité d'une sorte de coaching, permettant de mieux faire face aux ruptures et aux changements : parce que les opportunités qu'elles peuvent représenter dans nos vies s'imposent d'abord, sauf exception, comme des sources d'angoisse et de difficultés que nous sommes mal préparés à affronter et à négocier.

Cinquième idée enfin : il me semble qu'il faut renforcer cette dynamique d'un plus grand appel aux talents étrangers - dans les écoles, dans les entreprises, dans la société. C'est comme si en France, chacun avait le talent, remarquable, de connaître le monde en se dispensant de le rencontrer et de s'y confronter... Travers d'un universalisme mal compris, tout d'intellect et de suffisance, qu'il nous faut reprendre en développant, tôt dans les apprentissages, un goût plus modeste mais plus actif de la diversité, de l'expérimentation, de la confrontation positive - de l'exploration.

Sur ce plan comme en beaucoup de points du travail de la commission - et c'est ce qui justifie l'atelier relatif aux mentalités et à la réforme publique, auquel Jacques Attali m'a plus particulièrement demandé de participer -, le changement ne va pas sans une modification des représentations. Ce n'est pas là la part la plus facile de l'affaire. Mais en même temps, notre pays a sans doute rarement eu autant d'atouts en main pour matérialiser, ici aussi, le changement de génération.

13/12/2007

Réformes ? 10 règles de communication pour réussir

Pourquoi ne pas commencer par cela ? Depuis plusieurs mois, je participe avec un groupe de travail de l'Institut Montaigne présidé par Jean-Claude Boulet, président d'Harrison & Wolf, à une étude internationale sur le thème : "Communiquer la réforme" qui vise, à travers l'analyse d'une dizaine de pays, à établir une sorte de référence des meilleures pratiques dans ce domaine. Je suis notamment en charge des Etats-Unis, ainsi que du Canada.

Il a paru utile, au début de l'automne, après avoir documenté plusieurs grandes réformes menées à l'étranger, d'identifier une dizaine de points clés en matière de communication susceptibles d'aider à ce qu'une réforme puisse susciter l'adhésion et être adoptée. C'était une façon de bien cadrer l'étude autour du résultat qui aura vocation, dans les tout prochains mois, à être présenté, en peu de mots, à un ensemble de responsables politiques dont il faut espérer qu'ils en attendent moins des recettes miracles qu'un ensemble de prescriptions pragmatiques, le plus souvent de bon sens.

Actuellement à Washington DC pour mener une série d'entretiens avec divers spécialistes américains de la question - experts en communication, conseillers politiques, principaux think tanks -, il ne me paraît pas inutile d'ouvrir cette nouvelle rubrique par ces propositions, forgées tout autant au contact des réalités industrielles et managériales qu'à travers une observation toujours active du champ politique.

Trois grandes exigences me paraissent charpenter l'affaire : porter une vision, partager le changement et, finalement, concrétiser la promesse. Ci-après un premier passage en revue rapide et concis d'une potion qui n'est, à vrai dire, pas plus amère que magique...

Porter une vision

1. Légitimité : porter, au plus haut niveau, une vision stratégique justifiant la réforme au regard de l’intérêt général et explicitant les bénéfices futurs pour les citoyens.

2. Exemplarité : incarner le changement en montrant l’exemple des efforts à fournir au niveau des dirigeants et en frappant les esprits par des symboles percutants.

3. Médiatisation : occuper le terrain des medias, et des outils de communication, autour d’une parole à la fois déterminée et ouverte, cohérente et partagée ; faire appel, le cas échéant, à des personnalités reconnues pour favoriser l’acceptation du changement.

Partager le changement

4. Mobilisation : associer les agents de l’administration à la réflexion sur la réforme pour créer une appropriation et mieux les impliquer dans la mise en œuvre du changement.

5. Concertation : s’assurer d’une consultation permanente et approfondie des principales parties prenantes en vue de créer le plus large consensus possible.

6. Latéralisation : être prêt à faire évoluer la réforme en intégrant au projet initial certaines revendications des acteurs clés pour les faire entrer dans la démarche.

Concrétiser la promesse

7. Organisation : s’appuyer sur une équipe professionnelle créative et réactive, capable de mettre en scène la réforme, tirer parti des conflits et gérer la communication de crise.

8. Animation : faire vivre la dynamique et quadriller le terrain socio-politique par un dispositif serré de réseaux et d’événements bien relié au niveau central.

9. Pragmatisme : être attentif aux critiques et aux difficultés de mises en œuvre en aidant ses alliés à avancer plutôt qu’en focalisant son énergie sur les opposants.

10. Eclairage : rendre compte de l’avancement du projet à travers explications, indicateurs et témoignages en remettant sans cesse la réforme en perspective.


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